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Langage Tambouriné

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Dernière mise à jour : 29 janv. 2023

Il est d’autre part établi que pendant cette même « période allemande », au Kamerun, les Ewondo (Yaoundé), Bafia, Batanga (Kribi), Bulu (Ebolowa), etc., utilisèrent largement et efficacement le « Nkul » (= Elimbi) pour déjouer les terribles et inhumains agissements de Hans Dominik, administrateur allemand de sinistre mémoire, qui semait la terreur dans ces régions. On ne compte pas le nombre de surnoms, de sobriquets désobligeants dont fut affublé le sanguinaire « pacificateur » teuton, pour prévenir les populations de son prochain passage. Et chaque fois que l’un de ces sobriquets venait à être déchiffré par ses hommes, il était aussitôt remplacé par d’autres, encore plus dégradants et injurieux, que les messages codés du langage tambouriné répandaient dans toutes les contrées. On raconte que ces obsédantes pétarades - des messages codés du langage tambouriné - finirent par exaspérer le terrible et sinistre administrateur, à tel point qu’il en perdit le sommeil et la raison.

Le Kamerun, devenu Cameroun (sous-mandat français, de la Société des Nations), connut également de graves conflits entre Camerounais et autorités administrantes françaises. L’administration coloniale française, une fois installée au Cameroun, après la fin de la Première Grande Guerre Mondiale, instaura sur le territoire deux fléaux très impopulaires et inhumains : la collecte de l’impôt de capitation et le travail forcé. Immédiatement les populations se rebellèrent : d’abord par le langage tambouriné, on peut devancer, mais pas toujours, hélas ! les redoutables « collecteurs » de l‘impôt de capitation et des non moins redoutables et redoutés « ramasseur d’indigènes » destinés au travail forcé. On ne m’a pas raconté l’histoire de la collecte de l‘impôt de capitation et du travail forcé. Je l’ai vu pratiquer. Mais cela est une autre … histoire !

Les Camerounais, voyant que ces deux procédés de « pacification allaient se transformer en génocide, ni plus ni moins, se réorganisèrent, et le Ngondo reprit ses activités patriotiques de la période allemande. Mais cette fois-ci il utilisa une arme nouvelle : le droit de pétition à la S.D.N. Grâce à la transmission tambourinée de message codés, les responsables du Ngondo pouvaient se réunir comme ils le voulaient et ni les hommes, ni les chiens policiers du commissaire Dubois ne purent sérieusement les inquiéter. Sachant qu’il ne pouvait pas lutter à armes égales avec l’occupant français, le Ngondo se proposait d’employer le droit de pétition à la S.D.N. afin de négocier avec la France le passage du mandat « B », qui était alors celui du Cameroun, au mandat « A » qui était celui de la Syrie, par exemple. En 1929, les responsables de l’Assemblée traditionnelle du peuple duala envisagèrent même d’installer une délégation permanente camerounaise auprès du siège de la S.D.N., à Genève.

Pendant près d’une vingtaine d’années, les autorités coloniales françaises durent s’employer désespérément pour dépister le réseau secret des patriotes camerounais qui réclamaient l’application du régime de Mandat au Cameroun. Grâce aux messages codés, transmis par langage tambouriné, et grâce à la complicité de la population, les principaux chefs de réseau réussirent toujours à passer entre les mailles des services de la Sûreté de l’administration coloniale française. Pendant longtemps, ils continuèrent de marquer cette dernière et d’envoyer les pétitions en Europe (à la S.D.N. et ailleurs). Mais cela ne pouvait pas durer. Excédées d’avoir été ridiculisées, bernées pendant si longtemps par les insaisissables finesses du langage tambouriné, blessées dans leur amour-propre de grands seigneurs mandataires, les autorités françaises firent tout pour mettre la main sur le principal chef de file du réseau : Dikongué Meetom. Elles réussirent à l’arrêter, l’accusèrent de « haute trahison et intelligence avec l’ennemi » ( !)et le fusillèrent. Cela se passait à Douala, en 1941.


Mais le langage tambouriné ne s’était pas tu pour autant. Pendant des « lunes » et des « lunes », il psalmodiait des mélopées de deuil en l’honneur de Dikongué Meetom, l’invisible, l’insaisissable, l’intrépide enfant du pays qui avait nargué les « hommes pâles » pendant des « lunes » et des « lunes »… Là-bas, au-delà des mers, les « hommes pâles » étaient en guerre chez eux, entre eux. Mais ils avaient tort, les « hommes pâles », de porter leur maudite guerre chez nous, inventant d’autres impôts de capitation et d’autres travaux forcés plus meurtriers que les premiers. Alors les « Belimbi » ont eu beaucoup, beaucoup, beaucoup à faire pour dire au peuple de se cacher, de se cacher n’importer où : dans la forêt, dans l’eau, dans la montagne, dans les nuages, sous terre, derrière le soleil, dans la lune, derrière l’arc-en-ciel… N’importe où pour ne pas être réquisitionné pour le grand travail forcé de là-bas, au-delà des mers… Après cinq années d’un si dur labeur, les « Belimbi », qui étaient devenus inaudibles à force de parler au peuple, crurent qu’ils allaient pouvoir enfin se reposer un peu avant de « battre » les chants d’allégresse qui suivent ou précèdent les périodes de grands deuils…

C’était déjà 1945 et la fin du gigantesque « Feu de ville » allumé sur toute la Terre par les démoniaques « homme pâles ». L’Afrique blessée, convalescente, se remua et voulut danser. Mais seul le Grand Li’ngha ancestral lui donna la cadence. Tous les autres Li’ngha, même celui que Batouala battait autrefois, se taisaient. D’autres sons, d’autres vrombissements étranges et étrangers, couvraient de leur vacarme les bruits familiers de la terre africaine… Mais, petit à petit, s’élevèrent les accents du Grand Li’ngha ancestral et les « Belimbi » et les « Nkul » de toutes les contrées de la terre africaine se réveillèrent pour lui donner la réplique. L’Afrique se réveilla, compta et pleura ses morts et ses disparus à la guerre au pays des « hommes pâles », puis se remit au travail…

BAILLONNEMENT DU LANGAGE TAMBOURINÉ ET DE LA PALABRE COMMUNAUTAIRE.

… Elle se remit au travail avec une ferveur et une ardeur miraculeuses. Elle savait – l’Araignée divinatoire le lui avait dit – que la fin de ses misères était proche. Elle savait que la voie de l’Indépendance lui était désormais ouverte. Tous les Li’ngha, tous les Nkul, tous les Belimbi avaient participé à la lutte pour la conquête de cette Indépendance. Et le peuple quasi-unanime, étroitement associé à l’Action occulte des Grands Dignitaires des Sanhédrins antiques, avait lutté corps et âme pour la conquête de cette indépendance. Et il était présent, le peuple, à toutes les palabres communautaires au cours desquelles furent décidées la dénonciation solennelle des crimes commis par les « hommes pâles » et la proclamation de la fin de leur domination…

Trois des plus Grands Li’ngha ancestraux du Continent furent chargés d’annoncer la nouvelle au monde entier ; c’était : le Grand Li’ngha du Kilimanjaro, le Grand Li’ngha du Kere Nyaga (qua des étrangers ont improprement appelé Mont-Kénya) et le Grand Li’ngha du Fako (que des impurs ont nommé Mont Cameroun). Il s lancèrent un appel au Ciel et lurent ensemble la sentence prononcée contre les « hommes pâles » accusés du Crime de Lèse-Afrique !...

En entendant le solennel appel et la juste sentence, le Grand Continent sortit de sa torpeur, s’étira sur toute la longueur de ses fleuves majestueux et émit un formidable éternuement de délivrance qui provoqua de grandioses tempêtes de sable sur toute l’étendue du Sahara… Le Peuple-Afrique, lontemps dans l’attente de l’annonce de la Bonne Nouvelle, se frotta les yeux et tendit l’oreille… Il ne pouvait plus se tromper. Les échos des message tambourinés recueillis étaient bien ceux qu’il attendait depuis des « lunes » et des « lunes », d’incommensurables souffrances : INDEPENDANCE !... INDEPENDANCE ! ! … INDEPENDANCE ! ! !...

… L’Appel des Trois Grands Li’ngha ancestraux recommandait la tenue permanente de Grandes Palabres communautaire sur tout le Continent. Au début de l’Action, ces palabres communautaires sont très populaires. Comme dans l’Afrique antique, tout le monde a droit à la parole, tout le monde prend la parole, tout le monde s’exprime librement. Mais on ne dit plus les mêmes choses, la même chose. Mais, plus que jamais, on continue de faire appel à l’expérience des anciens. On demande des conseils aux vieux. Plus que jamais on fait référence aux « classes d’âges » et, surtout, l’amour et la connaissance intime du terroir sont prédominants… Tous ceux qui ont souffert ensemble, dans l’âme, sur la peau et dans la chair et le sang, du terrible régime de l‘« indigénat », de l’ »impôt de capitation », du « travail forcé » (humiliation quotidienne) participent à part entière et sur le même pied d’égalité à ces joutes verbales qui prétendent bâtir les fondations d’un nouveau type de case et les fondements d’une Nouvelle Communauté Africaine… Mais on ne se rassasie pas de paroles. On ne se rassasie pas de danses. On ne se rassasie pas de chants… Et l’Arbre généalogique communautaire, ébranlé par tant de secousses mortelles au cours de la terrifiante période, a besoin d’une sève nouvelle… Le peuple sait cela, lui qui, pendant cette exaltant période de palabres communautaires rénovatrice, doit demander aux femmes de faire de plus en plus de nourriture, de plus en plus d’enfants… Car c’est leur Placenta qui féconde la Terre et assure la vie de l’Arbre généalogique communautaire.

…Des « lunes » se passent. Le murmure courroucé du peuple grandit. La Palabre communautaire rénovatrice atteint son paroxysme. Tout bouge. Tout gronde… C’est alors que l’un des Trois Grands Li’ngha annonce que le Peuple doit choisir des « Eclaireurs » appelés à aller discuter des problèmes du pays avec les hommes pâles au pays des hommes pâles… Alors, comme par miracle, on voit surgir de toutes parts, presque simultanément, des Batouala en complet-veston et chaussures de cuir, sachant parler la langue des hommes pâles. Signe particulier : ils ont pris la parole aux palabres communautaires des temps héroïques. A présent, ce sont eux qui sillonnent le pays dans des voitures appartenant aux hommes pâles. E t quand ils parlent au Peuple, ils s’expriment dans la langue des « hommes pâles », et des « interprètes » traduisent au Peuple !... Et avant même que le Peuple ait eu le temps de lever le doigt pour demander l’autorisation de poser une question, les Batouala en complet-veston et chaussures de cuir s’envolent, comme des ptérodactyles, dans des oiseaux métalliques géants, vers le pays des hommes pâles… Quand ils reviennent, ils sont complètement métamorphosés !... Et le bruit commence à courir, de case en case, de village en village, de quartier en quartier, de canton en canton, qu’on a envoûté là-bas, au pays de hommes pâles les Batouala en complet-veston et chaussures de cuir… Le Peuple tend l’oreille, à l’écoute des messages tambourinés des Li’ngha. Mais les Li’ngha se taisent… Quand ils se remettent à parler, ils parlent un autre langage, bizarre, étrange, que le peuple ne comprend plus !... Devant ce spectacle, les vieux secouent tristement la tête et disent : « Dieu ! Nos Li’ngha ne parlent plus. Ils font du bruit ! »

Et quand on demande aux vieux ce qu’ont fait les Batouala en complet-veston, faux-col et chaussures de cuir, les vieux se mettent à égrener les accusations :

« Ce qu’ils ont fait, les Nouveaux Batouala ? …

Ils ont mis du coaltar sur le Terroir pour le rendre improductif.

Ils ont inoculé des maladies vénériennes aux Femmes pour les rentre stériles.

Ils ont mutilé les Hommes valides pour tuer le Travail communautaire.

Ils ont coupé la langue aux Animateurs de la Palabres communautaire.

Ils ont brûlé tous les Li’ngha, tous les Nkul, tous les Belimbi.

Ils ont incinéré tous les Maillets-de-la-Liberté.

Ils ont trucidé les Grands Dignitaires des Sandréhins antiques.

Ils ont drogué la Jeunesse Africaine en lui administrant des doses massives de slogans démagogiques.

Ils ont drogué la Jeunesse Africaine en lui administrant des doses massives de slogans démagogiques.

Ils ont percé les yeux aux avant-derniers Témoins de la Dignité Africaine.

Ils ont crevé les tympans au Peuple qui ne percevra plus jamais les solennels Appels tambourinés d’antan.

Ils ont desséché les Racines nourricières de l’Arbre généalogique communautaire…

ILS ONT BAILLONNE LA LIBERTE D’EXPRESSION !...

Voilà ce qu’ils ont fait, les nouveaux Batouala ! ! !... »

REHABILITATION DU LANGAGE TAMBOURINE ETY DE LA PALABRE COMMUNAUTAIRE

Instrument de dialogue permanent dans l’Afrique « avant les blancs », Arme de défense communautaire pendant la période coloniale, que va devenir le langage tambouriné à l’avènement des indépendances africaines ? Des moments de bâillonnement de guettent de toutes parts. Aura-t-il des chances de survivre – et s’il survit, pourra-t-il s’adapter, se plier au rythme et aux exigences de la vie moderne ?...

La réhabilitation du langage tambouriné suppose la liberté d’expression. Les Li’ngha ne peuvent pas parler un langage uniforme, téléguidé. « L’Appel des hommes » doit être immédiatement suivi de la réponse des hommes, une réponse libre et variée à l’extrême. – Les Belimbi ne parlent pas d’un seul côté. Ce serait l’idéal, mais en réalité, la société africaine actuelle est faite de telle façon, que toutes ses « couches » n’acceptent pas d’être critiquées, le cas échéant, sur le même pied d’égalité par les messages tambourinés de nos Nkul, car d’horizontale qu’elle était, cette société est devenue verticale… Ecrasé au bas d’une pyramide faite d’inégalités sociales révoltantes, le langage tambouriné aura du mal à basculer son joug et continuer sa mission d’assainissement de la mentalité du Peuple, comme par le passé…

Faisons un rêve. Supposons que le miracle se produise et qu’un gouvernement africain veuille bien accepter de s’engager dans une politique de réhabilitation du langage tambouriné. Qu’y aurait-il à faire ?... Il faudrait d’abord créer des écoles de langage tambouriné dont le rôle principal serait d’initier les jeunes générations à la pratique de nos langues maternelles menacées d’érosion, d’abâtardissement, sinon de disparaître ; ces écoles abriteraient également des stages de recyclage pour les « classes d’âge » intermédiaires qui ont oublié certaines tournures de la langue des maillets de bois. On ferait appel, pour la réalisation d’un projet, aux spécialistes de la science tambourinaire encore en vie – il y en a. Le coût d’une telle opération serait insignifiant, car il n’y aurait pas lieu d’importer du matériel. D’autre part, l’incidence budgétaire de cette opération serait infime, étant donné qu’on n’aurait qu’à l’intégrer purement et simplement dans le budget du programme général d’alphabétisation.

Avec le concours des techniques modernes (enregistrement sur disques, sur bandes magnétiques, système de vidéo-cassettes, émissions radiophoniques et télévisuelle, etc.) ce mode de communication et de transmission de la pensée prendrait une remarquable expansion et toucherait la presque totalité des populations. Ainsi, véhiculé par des techniques modernes importées, le langage tambouriné deviendrait un efficace outil de vulgarisation scientifique de l’alphabétisation dans nos langues maternelles qu’il continuerait d’enrichir de trouvailles linguistiques nouvelles, puisées dans la vie quotidienne du Peuple, c’est-à-dire des êtres et des choses ; il servirait aussi et surtout à l’unification de nos parlers tribaux dont la balkanisation a considérablement retardé l’unité de notre prise de conscience globale.

Sur un autre plan – plan scientifique, qui resterait à définir, à institutionnaliser et à inter -africaniser – le langage tambouriné perfectionné pourrait servir à la création d’un « alphabet morse africain ». Une telle création – ou invention – révolutionnerait les techniques modernes de la communication et de la transmission ; elle permettrait à l’Afrique de se libérer de la contrainte étrangère, de parler son propre langage à tous les niveaux, à toutes les longueurs d’ondes et d’être à l’heure, dans sa propre langue, grande et solide, au rendez-vous de la Grande Palabre Communautaire Internationale. D’autre part en ce qui concerne la composition des Codes Secrets de nos jeunes Etats, il y aurait peut-être des idées à creuser du côté du langage tambouriné perfectionné. L’un des phénomènes les plus aberrants de notre accession à l’indépendance est que les codes secrets de la plupart, sinon de la presque totalité de nos Etats, ont été composés par des étrangers (anciens administrateurs des colonies devenus conseillers techniques, etc.).

…Mais un doute demeure – Le Nouveau Contenu à donner au langage tambouriné. Qui meublera le langage tambouriné de son Nouveau Contenu ? Le Peuple ou le Pouvoir ?... Il est bien évident que les gouvernements africains ne laisseront pas entre n’importe quelles mains la manipulation et l’utilisation d’un moyen de communication de masse aussi efficient – et aussi redoutable que celui-là. Mais si un gouvernement met la main sur les instruments du langage tambouriné, c’en est fait de la liberté du langage tambouriné. Or les gouvernements des Etats africains sont tous à parti unique. Ce qui revient, en ce qui nous concerne ici, au système du Li’ngha du parti, seul et unique. Le Li’ngha du parti unique acceptera-t-il de laisser la parole, de temps en temps, à d’autre Li’ngha ? Cela semble peu probable. Et on risque d’assister à l’attristant spectacle d’un fastidieux monologue tambouriné qui viendrai prendre complémentairement le relais du monologue radiophonique télévisé et de la presse écrite.

En Afrique, les « grandes élections » (c’est-à-dire : les « présidentielles ») se soldent toujours par des scores de cent pour cent (100%) des « suffrages exprimés ». Cela donne l’impulsion d’une imposante et complète unanimité autour d’un candidat unique. Mais cela veut dire, aussi, que les règles de la Palabre communautaire ne sont pas respectées. Car il ne saurait y avoir d’ « unanimité moutonnière » dans la pratique de la palabre communautaire. Il en est de même du langage tambouriné. Et dès qu’on essaie de le mettre en cage, il se saborde. Ce merveilleux outil de la démocratie à l’état pur ne supporte pas la contrainte. On sait que les Belimbi ne sonnaient jamais cent pour cent (100%) de suffrages aux hommes en place et il serait dommage de leur enlever leurs attributs de noblesse au moment même où, ayant accédé à l’indépendance, nos jeunes Etats s’efforcent d’instaurer la Démocratie et le Socialisme en Afrique. Mais le Socialisme et la Démocratie ont toujours coexisté en Afrique, en même temps que d’autres formes de gouvernement d’ailleurs…

Essoufflés après des siècles d’assauts et de tempêtes, tour à tour placés en liberté surveillée, étouffés, bâillonnés, le langage tambouriné et la palabre communautaire ont besoin d’un support éclairé, d’un stimulant énergique pour continuer leur Action salvatrice. L’Appel de Batouala ne peut être « étranglé » plus longtemps. Frustré hier et avant-hier de ses moyens traditionnels de communication de la pensée, mal formé parce que mal informé, le Peuple africain a besoin de cette nourriture salutaire qu’est l’Information libre pour recouvrir son autorité et sa dignité. Le dialogue doit se renouer. Les Li’ngha attendent, angoissés, délaissés, qu’on leur laisse la liberté de battre l’Appel du Peuple pour le rendez-vous de la grande Palabre de la Réconciliation qui sortira l’Afrique du profond mutisme dans lequel elle est naturellement plongée, malgré les apparences de kermesses qu’on s’ingénie vainement et maladroitement à lui imposer.

Non. L’Appel de Batouala ne doit pas s’éteindre. Le langage tambouriné doit continuer de s’exprimer librement comme autrefois afin qu’il puisse inscrire ses notes originales sur la gamme du concert du monde moderne et terrasser l’Hydre de la « Galaxie Gutenberg »… Ce qui nous menace actuellement, nous autres Africains Noirs, c’est la confiscation par l’Occident tout-puissant, du DROIT A LA PAROLE, à la confiscation par les grandes puissances occidentales – d’est et d’ouest – de tous les moyens de communication de masse qui gouvernent le monde. C’est une question d’autorité et de domination. C’est une question de vie ou de mort. L’Afrique a-t-elle, AUJOURD’HUI, les moyens d’exercer et d’assumer son autorité sur son aire d’information sur la planète ? Comment peut-elle contrôler cette aire et par quelles possibilités financières et morales pourra-t-elle échapper à cette humiliante situation (le poids écrasant de la presse occidentale sur sa vie politique, économique, sociale, culturelle et religieuse) et parler objectivement, en toute souveraineté, avec les outils de sa langue propre ?...

NOTES SUR LE LANGAGE TAMBOURINE

Dans un mémoire ( « La clé musicale des langages tambourinés et sifflés » au XVIe). Congrès International d’Anthropologie – Bruxelles, 1935, Félix Eboué, ancien gouverneur général de l’A.E.F., écrivait :

« La démonstration était faite de façon irréfutable, au moyen de la notation musicale, de l’identité parfaite du langage parlé et de celui transmis par les Banda (Oubangui) à l’aide d’instruments de musique. En effet les sons émis par le linga, mis en partition et reproduits sur n’importe quel instrument, étaient parfaitement compris par les indigènes de la région. D’où cette remarque importante : non seulement identité des deux modes d’expression, mais mieux encore, identité du langage et de la musique. En d’autres termes, pour ces peuples oubanguiers, on était forcé de convenir que parler et chanter constituaient un seul et même phénomène, que le fait linguistique était un fait musical.

« Ce phénomène est-il l’apanage des seuls Oubanguers, ou alors d’autres peuples ont-ils également le rare privilège d’intégrer à ce point la musique qu’ils en sont arrivés à en faire l’expression de leur pensées ? Beaucoup d’auteurs ont eu l’occasion de signaler l’existence des langages tambourinés et sifflés en Afrique et en dehors de l’Afrique. L’Oubangui n’est pas le seul pays où la clé de Bambari, appliquée aux divers parlers africains ou extra-africains, est susceptible de conduire aux mêmes déductions qu’en Oubangui. Nous pensons que des enquêtes menées dans toutes les régions où la forme d’expression envisagée est pratiquée permettraient seules de généraliser. L’auteur de ce mémoire s’est proposé d’apporter sa modeste contribution à l’œuvre à entreprendre ; il a enquêté du 22 au 29 avril1935 chez les Mossi, les Gourounsi et les Bobo du Soudan et de la Haute-Volta. La difficulté de ces sortes d’enquêtes apparaît très nettement ; elles exigent, en effet, une connaissance approfondie des langues étudiées, en même temps qu’une éducation et une pratique musicales très étendues. Cette difficulté peut être atténuée, dans une certaine mesure, par la collaboration d’un linguiste et d’un musicien ou encore par celle d’un linguiste, d’un musicien et d’un interprète, ce dernier procédé exigeant le maximum de patience et de prudence…

Dans Littérature et Musique populaire en Afrique Noir (Editions Cujes, 1966), Eno Belinga, jeune musicologue camerounais, écrit :

« … Les peuples qui parlent le dialecte banda-linda, en République centrafricaine, utilisent pour correspondre deux tambours de bois : un tambour mâle, le plus gros (Oko linga) et un tambour femelle, plus petit (eyo linga). Le linga, instrument d’accompagnement de chants et de la danse, a le don de la parole. Il a pour s’exprimer une gamme de trois sons qui correspondent sensiblement aux tons élevé, moyen et bas du langage articulé. Or, chaque instrument fait entendre seulement deux sons différents : un jeu convenable exige donc, au moins une association oko linga-eyo linga, d’un tambour mâle et d’un tambour femelle. Cela fait en tout quatre sons différents dont l’usage est réparti de la façon suivante : trois servent à l’accompagnement (il serait aussi exact d’écrire : servent à parler) et le quatrième, qui est plus aigu, sert à avertir… » (pp. 184/185).

Et du même auteur, dans le même livre, page 188 :

« … Le Nkul, tambour d’appel ou tambour-téléphone, est une bille de bois évidée : c’est un instrument de musique à corps solide vibrant et non susceptible de tension. Dans la position convenable au jeu, il est placé horizontalement, montrant à sa partie supérieure une fente longitudinale entre deux lèvres d’écartement variable (5-10 cm). Une baguette médiane termine chaque lèvre. La lèvre supérieure correspondant au côté du plus gros épaississement de la paroi de l’instrument donne un son aigu. La lèvre inférieure, du côté où la paroi de la bille évidée est plus amincie, donne le son grave. Les deux baguettes servent à accorder le tambour au moment de la fabrication ; Il s’agit d’obtenir une tierce approximative (tierce majeure ou tierce mineure) en frappant l’une, puis l’autre languette. Le nkul produit une gamme de sons assez étendue dominée par deux sons principaux d’instants d’une tierce. Les autres sons dépendent surtout de la manière dont l’instrument est percuté : ils sont donc extrêmement variables du fait qu’ils font essentiellement intervenir un facteur psychologique. A sa façon particulière de frapper, on reconnaît de loin la personne qui joue, rien qu’à l’entendre… »

Enfin, page 197, citant J.N. Maquet (« Notes sur les instruments de musique congolais ») :

« La manière de frapper, soit avec la main, soit avec une mailloche, tantôt au centre, tantôt à la périphérie, amène de nombreuses nuances que les virtuoses du tambour exploitent avec art. Les rythmes sont riches et complexes. Un tambourinaire de talent peut adopter une mesure de la main gauche différente de celle de la main droite et comme souvent plusieurs instruments de percussion se font entendre à la fois, chacun avec son rythme propre, l’ensemble produit une polyrythmie qui dépasse de loin en complexité ce qu’on rencontre dans les musiques populaires occidentales. »

Photo de Maria et  Iwiyè Kala-Lobè
Maria et son fils Iwiyè Kala-Lobè, Dakar 1980


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