Le 29/08/ 2022
La guerre juridique au Conseil de sécurité entre la France et le Mali, ou les armes du droit en temps de guerre hybride et de néo- décolonisation.
Que faut-il attendre de la saisine du Conseil de sécurité de l’ONU par le Mali ?
Paul EHONGO DIMA
Avocat aux Barreaux de Bruxelles et Paris
Enseignant à l’École de droit de l’Université Panthéon-Sorbonne Directeur de recherches au think - tank Vassa Club
Managing Partner, Benedict Steen & Associates
Par sa lettre datée du 15 août 2022, adressée à l’ambassadeur de la Chine, lequel assume actuellement la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU, le ministre des Affaires Étrangères du Mali, Abdoulaye Diop dénonce les violations de la souveraineté de son pays par la France. Il sollicite une réunion d’urgence, en vertu des dispositions des articles 34 et 35 de la Charte des Nations Unies, pour faire cesser « les actes d’agression » de la France et affirme détenir les preuves d’actes d’espionnage et de soutien de la France, aux groupes terroristes, agissant dans son territoire, contrairement aux discours, déclarations et engagements du gouvernement français. Le Mali se lance ainsi dans une guerre juridique contre la France.
La guerre juridique, parfois désignée de son vocable anglais lawfare, est l’antique recours au droit afin d’établir, renverser ou pérenniser un rapport de forces, dans le but de contraindre son adversaire à sa volonté. Elle est aujourd’hui l’une des composantes de la guerre hybride, aux côtés par exemple de la cyberguerre, ou encore de la guerre médiatique ou communicationnelle.
Les nations européennes y ont excellé depuis la fin du moyen-âge, dans leurs aventures impérialistes. Ainsi, le code noir en vigueur dans différentes nations européennes ou le code de l’indigénat, ont pu cohabiter avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou le Bill of right, pour fonder un ordre juridique international impérialiste, esclavagiste et colonialiste. Les populations non-européennes subissaient l’assaut des
européens, et l’imposition par la contrainte, d’un droit impérial sur leur territoire, en vue notamment de l’exploitation de leurs richesses.
L’ordre juridique international actuel est le reflet du rapport de forces, qui donne naissance à une institution d’essence aristocratique comme le Conseil de sécurité de l’ONU, avec son droit de véto réservé aux cinq membres permanents, bénéficiant du statut de « porte-plume», alors même que la Charte des Nations Unies est un document d’essence démocratique, basé sur les principes de l’égale souveraineté des États et de non-ingérence dans les affaires internes de ses membres.
L’évènement singulier de la saisine du Conseil de sécurité de l’ONU par le Mali, signe ainsi la quadruple défaite de la France au Sahel, tant sur le plan militaire, diplomatique et potentiellement juridique et géopolitique.
La défaite militaire
Le communiqué de presse laconique, daté du même jour, 15 août 2022, de l’état-major des armées de la France, prend acte de la défaite de l’armée française au Mali, de l’échec des opérations Serval et Barkhane, ainsi que de la task force Takuba, par son retrait définitif du Mali.
Après neuf années passées à guerroyer contre les terroristes au Mali, qui s’y sont installés à la faveur de l’assassinat de Mouammar Kadhafi et la déstabilisation de la Libye, orchestrée par l’OTAN, le trio Nicolas Sarkozy, Barack Obama et David Cameron, avec la complicité de l’ONU, l’armée française est sommée de se retirer d’un territoire que la France a continué de considérer comme relevant de son « pré-carré » depuis qu’elle s’y est installée à la fin du 19ème siècle.
L’adhésion du Mali à l’ONU en 1960 et les positions panafricanistes et prosoviétiques du président Modibo Keïta, n’ont pas suffi à briser les divers instruments de domination, militaire, monétaire et juridique, maintenus par la France. Une domination militaire qui s’est traduite par le coup d’État en 1968 de Moussa Traoré avec la complicité de la France. Une domination monétaire qui se caractérise par le maintien des mécanismes de « répression monétaire » du franc CFA depuis 1945, et le retour du Mali au sein de la zone-franc, après en être sorti. Une domination juridique enfin, avec l’application au Mali, des Actes uniformes de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) qui imposent un droit d’inspiration française, essentiellement aux États africains du « pré-carré » français.
Ce retrait de l’armée française du Mali, pour s’installer dans deux pays voisins le Tchad et le Niger, en dépit de l’hostilité manifeste des populations tchadiennes et nigériennes, dont les manifestations contre les forces de l’opération Barkhane, ont été interdites par les gouvernements, reste lourd de menaces pour le Mali. Surtout si celui-ci est comme l’affirme le ministre Abdoulaye Diop, en mesure d’apporter les preuves des « actes d’agression » de la France et son soutien aux terroristes. L’armée française notamment un convoi de la force Barkhane est par ailleurs accusée d’avoir tiré sur des manifestants à Téra au Niger en novembre 2021, faisant plusieurs morts.
Dans un contexte géopolitique de sécurisation de l’accès aux matières premières stratégiques et de convoitise du continent africain, la frontière entre terrorisme et contre- terrorisme est très tenue. Les discours s’inscrivent astucieusement dans l’un des registres, tandis que les pratiques relèvent de l’autre, au service d’une stratégie bien articulée selon les intérêts d’un hégémon étasunien et/ou européen, ainsi que l’ont avoué certaines autorités américaines, confirmant les révélations des câbles diplomatiques diffusés par Wikileaks.
L’incapacité de la France à accomplir la mission qui lui était confiée par les autorités de transition du Mali en 2013, sollicitant un soutien logistique en matière de renseignements et un appui aérien, pour venir à bout des terroristes sur son sol, et le choix par le président Hollande et l’état-major français, d’une présence militaire au sol, n’a produit aucun résultat au bout de neuf années.
Ce constat a conduit les nouvelles autorités de transition au Mali et les autorités françaises, à une succession d’incidents diplomatiques, ayant aboutis à la rupture diplomatique.
La défaite diplomatique
Le premier ministre malien Choguel Maïga s’est illustré par son discours à la tribune de l’assemblée générale de l’ONU, le 25 septembre 2021, au cours duquel il a accusé la France « d’abandon en plein vol » du Mali, en décidant du retrait unilatéral de la force Barkhane. Il s’en est suivi une confrontation diplomatique entre le gouvernement de la transition au Mali et le gouvernement français, qui s’est soldée par « l’expulsion » de l’ambassadeur de France au Mali.
La France ne pouvant répliquer par une mesure réciproque, puisque l’ambassade du Mali en France est dirigée depuis mars 2020, par un chargé d’affaires, suite au rappel à Bamako de l’ambassadeur Toumani Djimé Diallo sur demande insistante de la France, après qu’il ait eu l’outrecuidance de dénoncer, auprès d’une commission du sénat français, au cours d’une séance de travail à laquelle il avait été convié, les « débordements » des légionnaires de l’armée française au Mali.
Le Mali s’est par ailleurs fermement et victorieusement opposé à l’adoption d’une série de mesures préconisées par la France à l’ONU. La France n’est ainsi pas parvenue à se faire attribuer la mission de soutien aérien à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), qu’elle sollicitait, en raison de l’opposition de la diplomatie malienne.
La simple saisine de prime abord, du Conseil de sécurité de l’ONU, en vue de faire cesser « les actes d’agression » de la France, et ensuite le fait que le Mali « se réserve le droit de faire usage de la légitime défense», si les agissements de la France persistent, conformément à la Charte des Nations unies, constituent en eux-mêmes, une cinglante défaite diplomatique pour la France.
Les probabilités de défaites juridiques et géopolitiques de la France sont d’ores et déjà grandes.
La potentielle défaite juridique ?
Dans la bataille juridique qui l’oppose à la France, une première victoire peut être comptée à l’actif du Mali. En effet, une convocation datée du 20 avril 2022, a été servie à Jean- Yves Le Drian, le ministre des Affaires Étrangères français, et son fils Thomas Le Drian, par un juge d’instruction du pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Bamako dans une sordide affaire de délinquance financière, d’atteinte aux biens publics et autres infractions au dépens de l’État du Mali.
Cette convocation a eu un retentissement particulier en raison de son caractère révolutionnaire. Depuis le 19ème siècle en effet, la France a toujours pris soin, d’inclure des clauses d’exclusion de ses ressortissants, des juridictions de ses alliés Africains. Ce fut une clause de style, en raison de son caractère systématique, dans les multiples traités de protectorat signés au 19ème siècle, entre la France et les royaumes et empires africains d’alors. C’est encore le cas aujourd’hui, en conformité avec le code de justice militaire français, dans tous les accords de défense, fixant le cadre d’établissement de ses bases militaires permanentes en Afrique ou des opérations extérieures de l’armée française en Afrique, de type Serval ou Barkhane.
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